Deux amis sont fidèles des repas du 15 août dans le sud et des réveillons de fin d’année dans le sud ou à Paris. Ils nous invitent à passer quelques jours en voyage gastronomique. Le choix s’est porté sur San Sebastian, ville où les restaurants étoilés abondent.
Nous prenons l’avion à l’aéroport de Roissy. Notre terminal est nouveau et petit, ce qui est très agréable par rapport aux terminaux vers l’étranger où l’on passe son temps à faire du slalom dans les interminables files d’attente. Les avions pour des courtes distances comme celui qui nous emmène à Biarritz sont extrêmement étroits. C’est assez paradoxal de constater que l’obésité est en croissance, alors que sièges se rétrécissent. Le vol est agréable et nous prenons une voiture de location pour nous rendre à Saint-Sébastien. Il fait un beau soleil et la température est environ de dix degrés de plus qu’à Paris.
On dirait que madame Hidalgo a sévi dans cette ville car il y a des feux tous les cinquante mètres et des voies réservées en tout endroit.
Notre hôtel est installé au sein d’un musée et s’appelle Hôtel « one shot » ce qui paraît assez curieux car dans l’hôtellerie, on aimerait généralement que les clients reviennent. Mais j’ai peut-être mal traduit. La décoration est résolument moderne, qui a pris le pas sur l’ergonomie.
Nous allons dans un petit restaurant à Tapas où nous déjeunons en prenant des plats à la carte. La cuisine est de grande qualité sur des plats très simples.
La ville est belle de jour et de nuit. Nous avons longuement marché le long de la mer, contemplant les riches rochers, les montagnes et les monuments haut perchés sur les collines.
Nous allons au restaurant Azrak qui est gratifié de trois étoiles. Le menu est interminable et contrairement à ce qui se passe en France pour les menus-dégustation, nous avons le choix entre deux options à chaque étape, ce qui fait que nous n’avons pas tous eu les mêmes sensations. Par un hasard curieux les choix des plats ont été toujours à deux et deux et jamais à trois et un. Mais les deux d’un même plat n’étaient pas toujours les mêmes.
Quand on voit apparaître des petites assiettes de beurre avec du pain bien croustillant, on sait que Weight Watcher n’est pas passé par là.
Le menu que l’on m’a remis en fin de repas est : Taco de haricots, crevette, soupe à l’ail frit, porc ibérique / maquereau / homard et levure / œuf poché et frit avec anchois et sardines / lotte pulvérisée / chevreuil, feuilles et fungi / sorbet à la citronnelle / plateau de fromage / desserts autour du chocolat.
J’étais en charge du choix des vins que j’ai fait valider par la puissance invitante. Il y a des prix très raisonnables et des prix délirants sur des vins phares. Il y a donc de quoi choisir de belles bouteilles. La carte des champagnes est impressionnante.
Le Champagne Billecart Salmon Cuvée Nicolas François brut 2006 est généreux et opulent. Il est large et joyeux. On l’aime dès le premier contact. Il est à l’aise avec les premiers plats et amuse-bouches.
Le menu ayant plusieurs étapes qui appellent des vins blancs, j’ai demandé qu’on m’aide pour le choix d’un blanc espagnol, dont je ne suis pas familier. Grâce à l’aide d’une jeune sommelière j’ai commandé un Rioja Remirez de Ganuza blanc 2014 qui s’est révélé d’un bel équilibre et d’une belle gourmandise d’autant plus que l’un des plats est fait en utilisant ce même vin dans la sauce.
Il n’était pas envisageable de passer à côté d’un Vega Sicilia quand on n’est pas très loin de la Ribera del Duero. J’ai commandé un Vega Sicilia Unico Reserva Especial 2003 fait de 1985, 1990, 1991. Je pensais qu’on allait le boire tard dans le dîner mais lorsque j’ai vu le plat avec des tranches de maquereau à la peau brillante et à la chair puissante, j’ai eu l’intuition que le Vega Sicilia devait être servi avec cette chair. Et ce fut un régal. J’ai alors demandé que les trois vins soient servis ensemble pour que l’on puisse choisir les accords qui nous tentent.
Le vin rouge espagnol est incroyable et c’est surtout le finale qui est une merveille inextinguible. Habituellement on ressent dans le finale une trace mentholée. Je ne l’ai pas ressentie, mais quelle longueur impressionnante. On dit que c’est Charlie Chaplin qui a eu la plus longue ovation aux Oscars de douze minutes d’applaudissements. Le Vega, c’est cela, un départ vers l’infini d’un plaisir pur. Le vin est riche et frais, puissant mais cajoleur. Un régal.
Elena, la chef de cuisine qui succède à son père est venue nous voir, charmante, directe et positive. C’est un plaisir de discuter avec elle.
Globalement il y a une cuisine de haut niveau mais un menu beaucoup trop copieux. Et certains plats procèdent de recherches trop semblables. Le plat le plus marquant est celui de l’œuf poché remarquablement réalisé. Les desserts sont d’une qualité exceptionnelle.
La sommellerie se fait en versant de toutes petites quantités à chaque passage. C’est un choix qu’on accepterait si un sommelier était toujours attentif aux niveaux dans les verres. Cela ne nous a pas empêché de passer une excellente soirée.
Le lendemain, par un beau soleil, nous sommes allés nous promener le long de la si belle baie de Saint-Sébastien. La Basilique Santa Maria est impressionnante. On y entre contre monnaie sonnante ce que Notre Dame de Paris aurait pu faire aussi. Les avis sur ce sujet sont partagés.
La foule est immense et comme nous n’avions rien réservé, nous nous sommes retrouvés dans un petit bistrot ne payant pas de mine. Nous avons remarquablement mangé, avec une émotion aussi grande, toutes choses égales par ailleurs, que celle du dîner de la veille.
Nous allons dîner au restaurant Amelia qui est logé dans un hôtel du même nom. L’arrivée est assez ubuesque. On nous fait patienter dans le hall d’entrée de l’hôtel et un jeune employé me demande : « êtes-vous excité ? ». J’ai répondu que non. Ensuite on nous explique comment les portes s’ouvrent. Il se passe un temps assez curieux entre notre entrée et le moment où on s’assied à table.
Et ce n’est pas fini car on va nous présenter dans des paniers tous les ingrédients des futurs plats et on va nous les expliquer un par un. Nous commençons à nous demander quel est l’intérêt de cette mise en scène et puis tout-à-coup, dès l’arrivée du premier plat tout s’éclaire. Cette cuisine est d’un talent exceptionnel, d’une cohérence incroyable. C’est un parcours dans un jardin d’Eden.
Le menu que nous avons demandé de ne pas connaître (je l’ai laissé dans sa langue) est : Consommé / Wild trout Kamatoro / palamos prown, caviar, scallop, champagne sauce / Ricciola, tomato / King grab, tear peas , Iberian pork / the bread / lobster, pumpkin, lobster revenge / venison, onion, ceps, potato, uni, vin jaune / shiso, sake / the cheese, daurikus caviar, banana, rum / lemon tart / turron / dark chocolate, soy sauce / white chocolate, kefir lime, pistachio.
Petit à petit, après chaque émerveillement, il nous est apparu que le restaurant trois étoiles était Amelia alors qu’il en a deux et que Azrak est un deux étoiles alors qu’il en a trois. C’est subjectif, bien sûr, mais c’est le sentiment de tous les quatre de notre groupe.
La carte des vins a aussi des prix accessibles et d’autres inaccessibles mais c’est compensé par la possibilité d’avoir des vins au verre, servis avec un outil de genre Coravin qui laisse un gaz inerte qui comble le volume de vin servi. C’est le choix que nous avons pris pour le Vega Sicilia.
Le Champagne Michel Gonet Prestige blanc de Blancs 2004 est un très beau champagne qui s’est montré d’une très grande qualité, idéal avec le caviar.
Ayant vu les produits qui composeraient notre repas, nous avons spontanément pensé à prendre un vin jaune, choix que le sommelier nous a suggéré aussi quand il est venu nous voir. Les grands esprits se rencontrent. Le Vin Jaune Domaine Labet Les Singuliers 2015 s’est montré beaucoup plus mûr et complexe que ce que j’imaginais. Il a été idéal avec le King crabe et le porc ibérique.
Le Vega Sicilia Unico Reserva Especial 2016 contenant 1996, 1998, 2002 servi généreusement au verre est apparu sur le homard. Il est grand, riche et juteux, mais j’ai préféré le Vega Sicilia Unico Reserva Especial d’hier, plus vieux et plus long.
Au début du repas, j’ai estimé que le personnel nous prenait un peu de haut. Lorsqu’ils ont vu nos remarques sur les vins et les plats, les rapports sont devenus plus agréables et même un peu plus tard très souriants. La qualité des plats nous a conduit à féliciter toute l’équipe pour ce repas d’une qualité exceptionnelle.
Le lendemain, nous sommes allés nous promener sur la grande plage de Biarritz, ce qui a ravivé des souvenirs des plus de dix ans de vacances que nous avons passées dans cette ville si accueillante. Nous sommes allés comme en un pèlerinage à Arcangues cette si jolie ville, nous recueillant sur la tombe de Luis Mariano, dans un cimetière d’une beauté unique.
En revenant vers Paris nous étions tous riches de grands souvenirs où la beauté des lieux faisait jeu égal avec la brillante gastronomie.